La Génération « Cyber X »:

A propos de "Microserfs" de Douglas Coupland


La Génération « Cyber X »:

A propos de "Microserfs" de Douglas Coupland (1)

Douglas Coupland, canadien né dans une base militaire en Allemagne, auteur de "Génération X", "Shampoo Planet" et "Life After God", emploie avec son "Microserfs" l’ambiance de la "génération X" à la cyberculture, plus particulièrement à la culture des "nerds" et des "geeks" (2) de l’informatique, fous de l’informatique, timides, hyper-intelligents, créateurs et dévorateurs de codes et de logiciels.

"Microserfs" raconte, de forme agréable et intelligente, à partir d’un journal intime écrit par "danielu@microsoft.com" (c’est comme ca que le narrateur, Daniel Underwood, s’identifie pour la première fois), la vie d’un groupe d’amis "geeks" qui partagent la même maison et les mêmes désespoirs en ce que concerne le travail, la technologie, et le futur. Ce journal montre toute la tragédie de cette génération à travers l’aventure de Daniel et ses copains. Comme symptôme du malaise de notre civilisation, cette troupe de "geeks" va quitter la garantie d’un emploi chez Microsoft, à Washington, pour investir dans une petite entreprise de jeux "Oop!" (basée sur le jeu Lego; comme une sorte de Lego virtuel) en Californie, dans la Vallée du Silicium. Toute la métaphore de la (re)construction de leurs vies est là. Comme affirme un personnage "Oop! est un outil de modelage du monde".

Le livre montre toutes les angoisses vécues par cette génération que l’on peut appeler de "Cyber-X": une génération sans futur, sans idéologies, perdue dans le présent le plus urgent et vide de sens. Ils frottent au jour le jour l’abîme, la frontière cybernético-médiatique de la société contemporaine qui mélange rationalité technologique et effervescence sociale. C’est ca Microserfs, un groupe d’amis que cherchent par la technologie un sens pour leurs vies. Pourtant, il ne s’agit pas ici d’une parousie technologique (ce qui a marqué toute la modernité), mais beaucoup plus. La technologie est vécue comme un outil existentiel. Ils vivent, par conséquent, leurs vies dans le terrible conflit entre la métaphysique des machines numériques et leurs codes, et le poids indiscutable des atomes de la vie quotidienne.

Le livre nous montre que cette génération "Cyber-X" est le produit à la fois d’un vitalisme social indéniable de la société contemporaine et de l’épuisement de toutes les certitudes qui ont marqué toute la modernité. Avec "Microserfs", tout l’imaginaire de la cyberculture(3) contemporaine est habilement tracé par Coupland: la crise de l’identité et de la réalité ("le nom d’une personne dans le Net montre plus sur cette personne que son nom de famille"); la charge magico-mythique des codes et des logiciels ("logiciels comme produit inconscient de Dieu"); le culte et le mépris pour le corps ("le corps est un dispositif périphérique d’emmagasinage de la mémoire, une unité de disque dur"); la communication et le cyberespace comme reliance (l’e-mail(4) est utilisé fréquemment par Daniel et présent dans toute l’histoire); le dépassement de la société du spectacle des médias conventionnels ("vous êtes plus intelligent que la télé. Et alors?"); le dépassement des dichotomies bien établies comme le corps et l’âme, le réel et le virtuel, le naturel et l’artificiel ("on est si éloigné de nos origines animales que maintenant on a besoin de créer une nouvelle identité, au-delà de l’animal"); la dématérialisation du monde ("le code est l’architecture des années 90"); l’attachement au présent ("les choses sont en train de disparaître: l’IBM, le mur, les idéologies. La question maintenant c’est la survie de la meilleure manière"), et j’en passe.

Même si vous n’êtes pas très intéressé par le monde de l’informatique, Microserfs peut être une excellente porte d’entrée pour comprendre toutes les facettes de la cyberculture planétaire, un phénomène beaucoup plus social que technique. Il ne se passe pas grand chose pendant tout le trajet de cette troupe de "geeks". Pourtant, le livre est loin d’être ennuyeux, avec des dialogues bien construits, créatifs et parfois rigolos. On reste avec l’impression que l’auteur voulait montrer la tragédie du temps présent, la banalité du quotidien et les questions des jeunes adultes des années 90. Comme affirme danilu@microsoft.com, "l’informatique nous apprenne qu’il n’a pas de sens de se rappeler de toutes les choses. L’important c’est d’être capable de trouver des choses" "Microserfs" montre comment cette génération "Cyber-X" est en train de chercher son chemin.

1. Coupland, D., "Microserfs.", Harper Collins, 1995. Il n’y a pas encore sa traduction française. Pourtant, il y a une traduction française de "Génération X" (Paris, Robert Laffont, 1991). L’auteur a traduit librement les citations qui apparaissent ici.

2. Les "nerds" sont des adolescents complètement dépendants des "codes" et "bits", qui s’en foutent de leurs corps et sont différents de l’adolescent moyen. Les "geeks" sont des génies de l’informatique, antisociaux radicaux.

3. Sur la cyberculture voir Lemos, A.., "La Cyberculture. Les Nouvelles Technologies et la Société Contemporaine"., Thèse de Doctorat, Paris V, Sorbonne.

4. L’"e-mail" est l’abréviation de "electronic mail", courrier électronique sur le réseau Internet.

André L.M. Lemos é doutor em sociologia pela Sorbonne, professor e pesquisador do Programa de Pòs-Graduação em Comunicação e Cultura Contemporâneas da Faculdade de Comunicação (FACOM), UFBA/CNPq. E-mail: lemos@svn.com.br